A la fin des années quarante, le résultat des études berbères indiquait, premièrement que les berbérophones étaient encore une dizaine de millions parlant encore le Berbère ( Tunisie, Algérie, Maroc, Sahara, Tripolitaine).
Concernant la seule Algérie, les berbérophones pouvaient être répartis d’une façon générale entre deux groupes dialectaux :
1° la zenatiya ou parler zénète ( Aures, Bani Nenacer, beni Snous, Ouarsenis, Dahra, Mzab, Oued Rir, Ouargla, Touat, etc...)
2° le kabyle ou zouaoua, parent du touareg ( Ahaggar) et du chleuh marocain ( Kabylie, Blida, Cherchell, Teniet el Haad, etc...)
Relief et règne minéral :
Le terme générique adrar ou adreîr - Montagne - correspond au mot arabe Djebel.
Adrar - Pierre - terme générique en Kabylie, et - Montagne - dans l’Aïr.
Les cartes géographiques en Algérie étaient, à ce sujet, assez fautives ; ainsi, dans tout le pays kabyle on dit : adrar n jerjer et NON Djebel djurdjura.
Isk et Ich « Corne » et, par extension « pic, sommet, montagne, escarpement » est toujours fréquent en Algérie où il apparaît toujours en composition : Ichouar « le Pic du lion » Ich temedda « le Pic du vautour » (Aures)
Azru, Tarerut, pluriel Izarwen, tazerwin, izra « pierre, rocher, montagne, endroit rocailleux » En Algérie : Djebel azerou-Djemaa, l’Azerout-n-Tarat, l’Azrou-n-Tohar, Bou Azera, Tazeroud, l’Azerou-n-Trourda ( montagnes ) Azerou-em-Bchar, Azera, Tizra (localité)
Tafsa se rapporte, en général, au grès et à tout calcaire En Algérie, les Aîn-Tafeza « Source du grès » sont nombreuses. G.MERCIER rapporte à ce thème nominal, par permutation du f X p, les noms antiques de TIPAZA et THAPSUS.
A ce thème, relèvent également les noms de Djebel Tifech et de l’Oued Tifech et peut-être TEFESCHOUN.
Tekkat qui a le sens de « rocher à pic un peu surplombant » a formé quelques noms de lieux.
En Algérie : Koukou, ancienne capitale de la Kabylie XVI° et XVII° S. Tkut, Takouka, Takkouch, Takoucht (djebel), Tikiouch « le petit piton » localité de Kabylie.
Ekadé « pierre « en Touareg donne ekedi avec le sens d’escarpement » il serait d’avis de rattacher à ce terme Ras Skidda (Philippeville), nom antique Rusicade qui serait de compte à demi avec rush « cap « . Comme il arrive souvent en toponymie, il y aurait une superposition de deux vocables de même signification.
Uzzal est le nom « du fer » dans tous les dialectes avec quelques variantes vocaliques
Dans l’Aures, une espèce de frêne au bois très dur se nomme t’uzzalt pluriel T’uzzalin. Mais au Maroc, uzzal et tazult est aussi « sulfure d’antimoine » ou Koheul, en arabe, employé comme fard et collyre pour les yeux. De nos jours, les Kabyles emploient aussi uzzal dans un sens métaphorique qui signifie « bravoure, courage ».
Tizi, « col, passage, chemin, etc... » pluriel Tizza, diminutif Tizit est fréquemment noté dans la nomenclature algérienne. Il est toujours suivi d’un déterminant dont je préciserais plus loin la signification suivant qu’il est emprunté à la botanique ou à la zoologie.
En Kabylie, le « versant exposé au soleil » s’appelle asammer féminin tasamert, tandis que le « versant exposé à l’ombre » s’appelle amalu, pluriel imula ; Tassameurt, Oussameur, Amalou, localité, « pente et versant d’une montagne » de dit amadel pluriel imadal.
D’après M. Soualah : Telemly ( à Alger) représenterait Tala oumalou « la source ombragée » ou Tala oulimi « la source de la pente ».
Ifri, pluriel Ifran et Ifraten, diminutif Tifrit. Avec un vocalisme à : Afri pluriel Tifran « caverne, grotte » et aussi « trou » ou « bassin artificiel destiné à recevoir l’eau des montagnes »
En Algérie : Aîn Tifrit, Oued Tifran, Tifra, Tafraoui, etc... Ghar-Ifri. Aurir et Taurirt, pluriel Tutarin « colline, montagne peu élevée » est un terme fréquent dans la nomenclature algérienne : Taourirt, Taourirt Amokrane pour meqqorel « la grande colline », Taourirt-Ighlil « la colline du bras ».
Zaccars (les) sont deux montagnes situées dans les environs de Miliana : Zaccar Gharbi (Ouest) 1579m et Zaccar Chergui (Est) 1533m. Zaccar est une forme arabisée du berbère Izeiikar pluriel Azellaker qui signifie « cime, point culminant ». Zacor, Zoukara, Zgaïer (localités).
Ténéré pluriel Tinâriwin « plaine, étendue assez grande de terrain plat, sans montagne ni dune de sable » Par extension : plaine déserte.
Tensa « lieu encaissé » tensaout « lieu bas entouré de hauteurs » pluriel Tinsoin sont des termes qui désignent en Kabylie des villages. Thansaoutt « ombellifère très commune dans les moissons dont la fleur fournit une teinture jaune »
Dans la plupart des dialectes Ighil pluriel Ighalen diminutif Tighill « bras » sert à désigner une « colline, crête faîtière, chaîne de montagnes, etc... »
Ighilali, Aghil En composition Ighil et Tighilt sont fréquement employés en Kabylie. IGHILIZAN « la crête des mouches » a donné RELIZANE
Ighir « épaule » aurait un féminin Taghrut, terme qui a le sens d’ « épaule, omoplate » dans l’Aures.
En toponymie, le diminutif Tagherdit et le pluriel Tighardin ont le sens de « hauteur, falaise, escarpement ».
Aïn Taghout. C’est peut-être le thème qu’il faudrait rattacher, Ghardaïa, prononcé par les M’zabit Tagherdayat.
L’EAU :
C’est une racine polymorphe qui a servi à fournir d’innombrables noms de lieux en Afrique du Nord.
Le Dr Provotelle, dans une de ses nombreuses publications a été le premier à signaler la valeur hydronymique de la racine lybico-berbère LL à laquelle il a rapporté le nom de LALA, petite localité au sud de Gafsa en Tunisie. Stéphane Gsell a cité lui aussi le vieux mot lybiens LILU appliqué à l’eau courante par Hesychius. De son côté, E. Laoust, dans ses « Mots et Choses Berbères » écrit : « Dans le djebel nefusa, à Djerba, au Djerid, Itel désigne « la mer », tandis que sitel, en Touareg est « le mirage » ; Il, en zenaga est « un fleuve » ; « rincer du linge » se dit partout SLIL qui est une forme factitive, littérairement « faire passer de l’eau » ; Aslili chez les Izayan est « lapierre sur laquelle on lave et rince le linge » ; Alili « laurier-rose », arbuste par excellence des oueds africains.
Ilel, Ilil, Tillit, termes fréquemment relevés en toponymie « pour nommer les sources et les rivières ».
En Algérie : L’Hillil, Telilat, Aîn Loulou, Oued Lili Illiten
Aman : il semble que ce terme entre dans la composition du vocable Agelman, pluriel Igulman. Agelmin, Tagelmin, pluriel Igulminen « citerne, réservoir » qui a fourni en Algérie de nombreux lieux signalés par G. Mercier. Kabylie, ce vocable a aussi le sens de « mare ».
Ighil Igoulmimen « la crête des citerne » Taghelmint, Agoulmane, Haouch Agoulman, Ikhf-en-Tigelman et les aguelman des Plateaux sahariens.
Connu de la plupart des dialectes, SUA, dérivé du verbe SU « boire » a le sens de « source ». Ce vocable est représenté dans la nomenclature antique par : SUA, actuellement Chouach, MISSUA actuellement Sidi Daoud et THIMISUA, actuellement HT Tazma (en Tunisie)
Aghbalou « source, fontaine » est fréquent dans la nomenclature marocaine. Bir Rabalou, Djebel Arbalou, Aghbal, Arbal, Oued Arbalou en Algérie.
Tala et ses variantes : thala, tahala, tahalat, etc.. signifient « source » et « point d’eau ».
Dans le cas actuel, il est fréquent en composition avec un déterminant : Tala-n-Tazert « la source du figuier », Tala Ifacene, Tala Ziza, Aïn Talazit, Thala, Aïn Talaouart, Tilouïne (Aïn a la même signification que Tala).
REGNE ANIMAL :
Le nom des animaux, sauvages en particulier, ont laissé de grandes traces dans les noms de lieux en Algérie.
A tout seigneur tout honneur : LE LION. Le lion qui fut très commun en Afrique septentrionale a marqué la toponymie de son nom redoutable. Il convient de reconnaître que, selon les dialectes, le nom de LION se présente sous deux formes dérivées de la racine AR : ar, pluriel iren ; aired, pluriel aireden, féminin tairat, taharet, etc... La LIONNE ! (en hébreu aryé) en kabylie Izem LION.
Djebel Ichoaur, Oued Ouaran (Oran), Aïn Talaouart, Tahert, Tiaret, Izem,Taghemmount Izammen « la colline des Lions » Ouaran, Oran, dialectiquement est à rapprocher du pluriel Iren (arabisé)
Hyène : Ifis et Ilffis, féminin tifist, pluriel Ifisen On trouve en Algérie le pluriel Iffisen.
Chacal : Ucchen féminin Tucchent Ighil Bouchchen « la crête du chacal » ; Foum Taouchent, localité Aïn Témouchent.
Sanglier ou porc : Iléf, pluriel Ilfan ; féminin Téleft « laie »
Ce vocable, dans les parlers maghrébins, est utilisé sous la forme de Halluf transcrit en Hallouf et désigne aussi bien le sanglier que le porc.
L’origine de ce mot berbère d’après les toponymies ci-après : Ighil ilef (Kabylie) Dlebel Bou Ilef Oued Bou Ilfan (Aures)
Quoi qu’il en soit, son aire d’extension en toponymie nord-africaine est considérable et ce mot Halluf ou Ilef s’applique TOUJOURS au sanglier dans l’appellation de sources, oueds, puits, montagnes : Aïn Hallouf, Oued el Hallouf, Bir el Hallouf, Dlebel el Hallouf..
Serpent et les reptiles en général : Fiker, pluriel Ifiker ou Fekeren
Tortue, en arabe dialectal : Fakrun En Kabylie : tortue se dit Ifker, pluriel Ifkar et encore Ifékren, Ifekran. En Algérie : Aïn el Fakrun, Ferkane, F’krina, etc...
La fourmillière : Taourga
Scorpion : Taghardamt en forme arabisée Ghardimaou.
Perdrix : Taskurt, pluriel Tiskrin ; en arabe parler H’jel Saint Denis du Sig, nom antique de Tasaccora.
Milan, Buse : Usiwan. Ighil Oussian « crête du milan »
Faucon : La cap Falcou et Ach Oufalkou (en arabe) Conservation du nom berbère du faucon « falcou » venu du latin Falco.
Escargot : Arus, diminutif Taarus en Kabylie. Aghlil dans le Hodna. Babouch en Kroumirie.
REGNE VEGETAL :
Divers vocables issus sans doute d’un même thème originel peuvent s’appliquer, selon les régions, à des espèces végétales fort différentes. Par exemple : Azemmür, pluriel Izemrân et Izemralen « olivier sauvage » Tazemmûrt, pluriel tizemmurin « olivier cultivé »
Ces deux mots se disent encore : Zeboudj pour les oliviers sauvages Zitoun pour l’olivier cultivé (ce mot est un terme sémitique).
Azemmur ou Zemmur par apocope de l’a initial désigne des toponymes répandus dans toutes les régions oléicoles de l’AFN : Azemmour, Zemmour, Zemmoura Tazemourth, etc...
Les céréales sont pour ainsi dire absentes.
Le « blé », irden, serait à l’origine du nom antique de Lambiridi, près de Batna, lequel signifierait, selon G.MERCIER, « l’endroit du blé ». Ichéridène a peut-être le sens de « colline à blé »
Les espèces spontanées et sauvages sont, par contre, relevées fréquemment en toponymie. Ader, aderna « les chênes à glands doux » Waderna, « les glands » Kerruch esr le nom du chêne-vert (du latin quercus) Thasaft, en Kabylie, « chêne à glands doux » Ezzan, Thazanet, « chêne zeen » Des localités : Tassaflit, Guerrouch, Thaghilt, Oukerrouch, Darna.
Le génevrier, Zinnbat Oued Zinba, Djebel Tazimbout (région de Tébessa) qui est couvert de genévriers.
Le genévrier rouge, Taga, Taka, Tega, Tiqqi, etc... Aïn Taga, Aïn Taya, Bou Taka
Le genévrier épineux, Uzzû Qui a donné le nom de Tizi Ouzou (capitale de la Kabylie)
Le fenouil sauvage, en berbère : Tamesaût - en arabe ; Temest, Temas, Temassine, Oued Messa, etc...
Les roseaux, Taghanimt, pluriel collectif Ighanim ou aghanim qui donnent des noms aux lieux en Algérie et dans le Territoire du Sud avec Talmest ou almest, pluriel Tilmesin. Il conviendrait de donner l’explication du nom de la ville de Tlemcen (Oranie) : Ibn Khandoun, Histoire des Berbères, III p. 334 dit : « Le nom de Tilimçan est composé de telem et de sin, mots qui dans l’idiome des Zenatas signifie : elle est composée de deux choses, c’est-à-dire, de la terre et du ciel » ???
Ronces et mures sauvages : Habegha, tabegha, pluriel Tibagaïn, ( du touareg abegh) En Algérie, Aïn Tabegha, source en Aurès. En arabe « aleq » ronces du berbère tabegha. Cette étymologie justifierait le nom de Bougie, en arabe : Béjaiya, en berbère : Bégaiya, selon Ibn Khaldoun. Alfa : en Berbère : Aûri, ari, âri, Telemt En Arabe : Djebel Bou-Ari, Ras ou Cap Iri.
A partir de ce qui précède, je vais citer quelques noms de localités en Kabylie qui dérivent des noms de plantes.
Tadmaït le palmier nain Takhilouant le sureau ou le ricin Iguer Ghedmimen le champ des aubépines Tajjelt la ronce Tassenant l’épine Tighilt Oumezzir la petite crête de la lavande Tizi Bouafrioun le col des feuilles Ikhefilen les scilles Tifilkount la fougère Tidmimin les aubépines Tiboudiouin les massettes
En conclusion, d’une manière générale il convient d’être extrêmement prudent pour effectuer des recherches dans les étymologies basées sur la langue berbère. Je pense que l’on doit toujours se souvenir que, d’une région à l’autre, la même plante, le même arbre porteront des noms aussi différents que nombreux. (H. Banus)
NOMS SIGNIFIANT DES QUALITES OU MANIERES D’ÊTRE :
Le thème « Grand » au propre comme au figuré est souvent employé sous des formes diverses mais qui impliquent l’idée de proportions supérieures à la normale ou d’excellence.
Agur Dominer, dépasser en grandeur Ajer Surpasser Eger, Ejer Etre plus grand Ugur, Eger, Ezer Amokrane Grand
Djebel Gourou, Djebel Garra, Oued Mekkera, Djebel Touggourt, Taourit Amokrane, Magoura, localités « le lieu élevé » et peut-être, Jurjura (montagne) et Igharghar « grand Fleuve desséché »
Petit Améziane, féminin Tamezziant
Milieu Ammas, pluriel Ammasen Ihil Bou Ammas « la crête du milieu » localité
Soleil et Briller Il’ig et It’ij Metidja ou Mitidja « la plaine ensoleillée » Il existe également une Mitidja dans l’Ouarsenis.
Etre gros Amizzar - Oued Amizzour
Main droite Aifus par opposition à Azzelmad « à gauche » Matifou (cap) Tama taifust « celui qui est à droite ».
NOMS EMPRUNTES AUX COULEURS :
Parmi les toponymes tirés des noms de couleurs, le plus usité est celui qui signifie Blanc : Amlal, Amellal, Umlil, pluriel Amellalen ; féminin Tamellalt, pluriel Timillalil qui signifie « blanc » et par extension « endroit aride, sablonneux » Tamellahat, Mellila, Aïn Mellila, Aïn Melloul, Oued Mellilo etc...
Nègre et Animal de couleur noire : Esedif, pluriel Isedifen
Le chaouia de l’Aures connaît Assett’af « noir » et le M’zab Zett’af. Sétif nom antique Sitifi ou Sitifis et l’oued Setaffa relèvent du même thème.
Bleu : Azagzaou, pluriel Izegzaou.
Une montagne visible d’Alger, en avant du Djuddjura s’appelle Bou Zegza.
Rouge : Azuggagh, pluriel Izzuggaghen ; féminin Tazzuggaht.
Zougara, Izougachen, Tizougarine, Taghemmout, Zouggaghen, localités.
Synthèse d’une publication de Henri Banus, extraits).
Source : agayous.com